Utopie

L'utopie n'est pas un luxe, c'est une nécessité.

Translate

mardi 25 septembre 2012

Islamophobie voilée: témoignages

 

Le voile, "ça va pas être possible"

  Témoignage numéro 29
Je suis Française, j'ai les yeux bleus, je suis instruite et souriante, je passe plutôt bien, seulement voilà: je porte le voile (un gentil voile tout léger, tout fleuri, qui ne cache en rien mon visage). Et je cherche un taff. Je sais que ce ne sera pas facile, mais il faut bien que je tente, et voilà ce à quoi j'ai été confrontée:

*Première expérience

Tout d'abord je me suis rendue au Service d’Accueil Familial du Département de Paris, m'entretenir avec sa responsable, en vue d'obtenir un agrément d'assistante familiale, c'est à dire accueillir chez moi, à l'année et H24, un enfant en difficulté.
Pour avoir plusieurs amies qui exercent ce métier, je peux vous dire que c'est loin d'être une sinécure, ces enfants étant quasi-systématiquement touchés par de graves troubles psychosomatiques, du genre retard de croissance, boulimie, incontinence, violence. Et vous êtes payée le Smic. C'est donc tout sauf une bonne planque, plutôt un dévouement. Bien.
Mon interlocutrice me reçoit, me considère et immédiatement me dit: "Vous êtes trop couverte, ça ne va pas être possible" Apparemment le mot "couverte" est aux filles voilées ce que l'expression "personne de couleur" est aux Noirs: la jolie formule d'une belle hypocrisie. Je suis au courant des lois anti-nounous, je m'y attends, mais je tombe de haut quand, après lui avoir assuré que je suis prête à enlever ce bout de tissu apparemment si inconvenant, pour entrer dans leurs locaux - dans lesquels les assistantes familiales doivent se rendre une fois par mois pour faire le point sur l'état de l'enfant, elle me répond, presque gênée, que malgré cette bonne volonté, "ça ne passera pas"...
J'ai pourtant des arguments : "J'habite le 5ème, le quartier des meilleures écoles, n'allez vous pas considérer cette opportunité unique pour un enfant défavorisé?" "Si, à l'inverse, vous aviez un enfant musulman à placer dans une famille chrétienne, vous en empêcheriez vous?" "Vous êtes en forte demande, beaucoup d'enfants attendent d'être placés par manque de disponibilité, et vous vous permettez le luxe de recaler des volontaires pour une histoire de tissu?" Dans ma déconfiture, cette dame avait au moins le mérite d'être enclin à la discussion. Elle reconnut la pertinence de ces oppositions, et admit même que ce n'était pas "logique", mais que cela "venait d'en haut" càd "du département", càd de Paris, càd de Delanoë.
Enfin, rassurez-vous, il est loin d'être le seul, d'ailleurs bientôt une loi sera votée pour appliquer cette discrimination de manière uniforme et nationale.Pas de jalouses, l'iniquité pour toutes! Malgré tout très aimable, la responsable conclut:" Envoyez votre dossier quand même, mais je préfère vous prévenir, il y a peu de chances que ça passe". Franchement je n'ai même pas essayé, sachant que, pour obtenir cet agrément, des assistantes sociales/psychologues viennent chez vous inspecter votre vie et vous faire passer des entretiens, certains à l'improviste, pendant 6 mois. Si c'est pour qu'on me le refuse de toutes les manières, ce n'est pas la peine de se causer, mutuellement, tant d'embarras. Manifestement, la République gorge ses enfants d'une Liberté bien conditionnée, et considère pour ses orphelins, qu'ils n'ont rien de mieux à téter que la sève de la Laïcité!

*Deuxième expérience:

Quelques mois plus tard, il fait beau, je me balade rue Mouffetard, et je vois chez Gelati d'Alberto, un glacier italien super bon bio et beau, qui sert des boules en forme de fleur, et dont je suis une habituée fidèle (:)), qu'il recherche des saisonniers. Je me dis: bon, j'ai besoin de sous, c'est juste pour l'été, ça a le mérite d'être à 5 mn de chez moi, et qui sait, je pourrai peut-être me faire payer des heures supp' en cornets 4 parfums... J'ai, évidemment conscience qu'il y a peu de chances pour que je puisse garder mon voile, mais la vendeuse porte une casquette avec son uniforme, et je me dis que ça peut le faire. D'ailleurs elle est super sympa, on parle une bonne demi-heure, elle me décrit le patron comme un jeune "super cool", "super gentil", et comme à aucun moment elle objecte que je porte le foulard, je me dis que ça "smell good", soit en bon français: "yes papa!"
Après tout, Roberto Maroni, ancien premier ministre italien, n'a-t-il pas déclaré:« Si Marie la Vierge est tout le temps avec son voile dans ses représentations, comment voulez-vous que je signe une loi qui interdit le voile en Italie ? » Si ce n'est pas la preuve que les Italiens sont à même d'être nos frères! Bon, soit, cet homme fait partie de la Ligue du Nord, parti nationaliste, xénophobe et islamophobe déclaré, mais Alberto est différent, je le sens: celui qui crée ces glaces divines ne peut être foncièrement inhumain... Je postule donc, CV, LM, je reçois un rdv par texto (vraiment très cool, Alberto!) et j'y vais, confiante, légère, pimpante! J'arrive dans la boutique, la serveuse est là, entourée de 3 apprentis qui se forment à la boule en fleur (toute une technique!), et je suis bientôt rejointe par deux jeunes qui vont, eux, commencer leur initiation aujourd'hui. Ambiance très bon enfant, ça sent bon le printemps. On attend quelque peu, la serveuse, décidément très sympa, appelle le boss sur son portable et le sermonne presque, tout en le tutoyant, de nous faire attendre. C'est vraiment la maison du bonheur! Pour un peu j'me mettrais à chanter! Et le voilà qui vient!
Pétaradant sur son scooter, nous abordant d'une galéjade, serrant la main, tout sourire, aux deux futurs apprentis.... Mais moi, il me toise, et me lance un très chaleureux:"Oui?.." Ça doit être la politesse à l'Italienne, pas de superflu, venons-en direct aux faits! Moi, genre ultra pro:"Sophie Machin, nous avons rendez-vous" Et là, tout s'arrête, la mélodie du bonheur, le bruissement des fleurs, et sonne la traviata, et résonne le glas. D'un doigt qu'il agite tout autour de sa tête, ostensiblement, il désigne mon faîte. Et fredonne cette sentence, au goût déjà si rance:"Ah non, mais là, ça va pas être possible". Deuxième soufflet. Il fait soudain chaud chez le glacier.
Comme ça, sans discussion préalable? Au milieu des 5 apprentis, de la serveuse, et d'un couple de clients, tous spectateurs impromptus, qui n'en perdent pas une miette? Je ravale ma fierté, et tente de discuter:"Pourquoi?""Pas l'image de la boutique!""Pourtant vous êtes dans une zone très touristique, cela pourrait être un plus pour votre image""En quoi??!!" (ton plus qu'incrédule)"En affichant votre ouverture d'esprit, votre pluralisme"(Oui, je sais, ce n'est pas la fonction première d'un glacier, mais bon fallait bien que je trouve un truc...)"Désolé, mais non!" Bon, là je rends les armes, OK j'vais la mettre ta casquette, j'ai besoin de bosser, arrêtons de s'afficher: "Très bien, je comprends, écoutez si vraiment c'est impossible, je suis prête à l'enlever, on peut s'arranger" J'aimerais juste qu'il daigne me recevoir dans son bureau au lieu d'exposer mon cas à toute la boutique! "Non, non, ça ne marchera pas, désolé!" "Mais je viens de vous dire que j'étais prête à l'enlever!"
"C'est pas ça le problème, le problème c'est vos convictions. Donc laissez tomber" Voilà. Le mot est lancé. La chose est dite.
Texto, en moins d'une minute trente de conversation, cet homme jeune, dynamique et souriant me refoule, moi, et toutes celles qui me ressemblent, fi de ma personnalité, fi de nos aptitudes, fi de notre bonne volonté, un mur s'est opposé à toute collégialité. J'ai de l'amour propre, et je ne vais pas crier. Autour tout le monde écoute, autour tout le monde se tait. Je vais juste t'afficher, sur ton mur de la honte. J'arbore mon plus grand sourire: "Ah... Donc c'est vraiment de la pure discrimination!" Je n'ai jamais aussi bien articulé, je crois, de mot de toute ma vie. Et l'autre de s'empaffer, bien droit, sur sa connerie: "Pas du tout, mais si vous pouviez l'enlever, fallait pas venir avec, c'est tout!" "Figurez vous que je me suis dit, on ne sait jamais, je vais peut-être tomber sur quelqu'un de tolérant.." Il se la ramène moins, il a compris que j'introduisais un concept à risque, la discrimination étant censée être un délit, ses clients étant tout ouïe, on ne sait jamais qu'un dangereux activiste humaniste traînerait dans les parages.. Mais il persiste: "Désolé". Pas autant que moi, c'est sûr.
J'espère qu'il n'en pleurera pas la nuit, au moins. Puisqu'il fallait bien que je parte la tête haute, comme disaient les Lofteurs, et que je me trouvais être la mire d'une poignée de sans-voix, je ne pouvais partir, sans au moins un éclat. Je lui assenais, tragique et solennelle (en en rajoutant des tonnes, bien évidemment):"J'ai l'habitude, quoiqu'il en soit" Si j'avais eu une cape, je l'aurais fait voler, pour bien signifier la majesté dans laquelle je me drapais. J'ai juste tourné mes talons plats, et je suis rentrée chez moi. Je suis partie mi-rieuse, de cette petite scènette, mi-pleureuse, du fait que l'on me rejette.
Pourtant je m'en foutais de ce taff, je n'ai pas fait 5 années d'études acharnées qui ne me servent à rien, je n'ai pas d'huissiers qui tambourinent à ma porte, et je n'ai jamais eu comme vocation de servir des glaces! C'est pas ça, c'est le mur.C'est le mur qui m'a heurtée. C'est cette injustice sourde, et ce déni violent de ce que je suis, à l'aune d'un peu de coton, qui m'ont donné envie de pleurer. Je me suis imaginée toutes celles qui ont dû vivre la même situation, mais qui, en plus, mettent leurs vies dans ces entretiens d'embauche. Je me suis imaginée ce qu'elles avaient pu ressentir, et comment elles doivent en être meurtries. On nous assène que ce voile, c'est un carcan. Mais ce sont eux qui nous asservissent.On nous oppose qu'un foulard, c'est une prison. Mais ce sont les autres, qui nous y enferment. On nous affirme que ce signe ostentatoire, c'est du prosélytisme, mais ce sont nos détracteurs, qui nous imposent leurs vues.
Il y a 15 ans, mes copines Noires me racontaient déjà ce genre d'histoires. Toutes ces Martine, Carine ou Véronique, aux prénoms bon teint, mais aux couleurs trop vives, à qui l'on a forcément déjà dit, quand la rencontre se fait, pour un boulot, ou un appart': "Ah... Mais vous ne m'aviez pas dit que vous n'étiez pas Française..." J'ai pensé fort à elles aussi, parce que dans la nécessité, il nous serait, à nous les Voilées, toujours possible de l'enlever, ce bout de tissu si décrié. Mais quand on est rejeté pour sa couleur de peau, qu'est-ce qu'on fait? A quoi est-ce qu'on pense? Comment on continue à vivre, serein et tranquille, dans une société qui vous crache au visage? Sans garder ni haines, ni faire d'amalgame? À toutes celles qui dérouillent aujourd'hui, à tous ceux qui ont souffert hier, je vous tire mon chapeau bas, du plus haut de mon respect.
"Si les choses se passent mal, c'est que probablement ce n'est pas la fin de l'histoire" Proverbe Brésilien

2 commentaires:

  1. Anonyme9/27/2012

    J'ai essayé de trouver une source indépendante parlant du CCIF, mais Google n'a pas été coopératif :( En plus, il y a plusieurs associations portant le même nom.

    Par contre, je ne suis pas d'accord avec leur traitement de la salle de sport, le rapprochement "interdit aux chiens et aux..." est totalement fabriqué, et l'interdiction des signes ostensibles est la même que celle d'une école publique, donc ce n'est pas de l'islamophobie.

    Yis

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. merci pour la précision:
      Je vous donne un lien qui vous éclairera
      http://www.osce.org/home/71549

      Supprimer


Tout ce qui est positif pour la discussion et les idées est encouragé, tout ce qui est stérile et inutilement méchant ne sera pas publié

Contributeurs

Citoyen Reporter

Palestine Libre Nouvelles

Rappel de la loi

Pour rappel : la provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une race ou une religion déterminée, est passible d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amendes (article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse).

La balise magique des liens en commentaires


Un bon truc afin de mettre des liens cliquables dans les commentaires: Vous mettez votre "lien" là où c'est indiqué et vous ajouté le texte qui l'illustre à la place de MOTS
http://www.commentcamarche.net/contents/496-les-liens-hypertextes

Pour me laisser un message par mail

About Me

Sites de référence

Compteur visites depuis le1/5/2012, mis en place le 10/6/2012

Compteur Global

scoop it

Nombre total de pages vues

Notre Devise Originelle

Notre Devise Originelle
A méditer